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18 septembre 2010 6 18 /09 /septembre /2010 23:29

 

 


 

C’était autrefois, en nos villages de montagne, le lot commun de la vie paysanne d’être le plus souvent à la peine qu’à l’honneur. Cependant, ces petites gens vivaient heureux – adonnés qu’ils étaient chaque jour à de multiples occupations - au rythme régulier des saisons. Il faut le reconnaître, vraiment ils mangeaient leur pain à la sueur de leur front. Certes, ils peinaient, mais ensemble ils savaient se réjouir, s’entraider – et une convivialité fraternelle était pour eux source de joie, de courage et d’un réel bonheur de vivre.

 

Les JAFFUEL étaient eux aussi – comme toutes les familles de la basse Lozère logés à la même enseigne du travail assidu et de l’amour de la terre ; la famille de notre mère vivait donc là-haut sur les hauts plateaux du Gévaudan à 1120 mètres d’altitude, au lieu-dit Le Crouzet de Saint Sauveur. Le climat y était rude ; en comparaison, sans être un Eldorado, la vallée de la Borne – Villefort – Planchamp – était une serre enclavée entre les monts rocheux de la Tournelle et de la Garde-Guérin. Certes, l’oranger n’y fleurit pas, mais les cerisiers y produisent de bons fruits, et les châtaigniers en sont toujours la gloire avec la Sardonne de Planchamp battant tous les marchés.

 

En  1880-1890, le Crouzet était un gros village de soixante-quatre feux. L’on y vivait surtout de l’élevage bovin et ovin, les foires de Grandrieu et de Langogne étaient célèbres. Avec son cheptel de vingt vaches l’hiver et trente l’été, la famille Jaffuel était l’une des sept ou huit familles les plus cossues du pays. En revanche, certaines familles étaient bien plus pauvres, réduites au minimum vital, avec sept ou huit, cinq ou six vaches. La famille Jaffuel, « Baoumo-biello » de surnom - i-e : « vieille caverne » - comptait des militaires, des lettrés, un magistrat local d’une personnalité exceptionnelle.

 

L’on ne peut omettre de parler avec fierté d’un ancêtre, Jean-Félix Jaffuel qui servit près de douze ans sous Napoléon 1er. Voici bien résumée son épopée.

Lors d’une conscription à Châteauneuf-de-Randon, sur une vingtaine de candidats conscrits, le sort tomba sur deux solides gaillards : Jean-Félix Jaffuel du Crouzet et Pierre Négron de Pierrefiche. Donc enrôlés dans l’armée du Premier Consul en 1802, il vont arpenter l’Europe ou peu s’en faut, et voler de victoire en victoire avec l’empereur. Illettrés l’un et l’autre - les familles n’avaient de nouvelles d’eux que deux fois l’an, en janvier et en juillet – ils ne reviendront au pays qu’en 1816. Etaient-ils présents à la cuisante défaite de Leipzig et de Waterloo ? Fort probablement, car des médailles frappées aux noms des célèbres victoires – Austerlitz, Iena, Wagram, Eylan, Mersebourg, Minsk, Smolensk – étaient précieusement gardées à la maison Jaffuel, dans un tiroir du bureau de la chambre dite de l’oncle Félix d’Arzenc.


Et puis, un fait qui ne manque pas de saveur, s’il n’a pas le poids historique d’une médaille, mais qui fleure bon la campagne ! Un bœuf, d’une établée à l’autre, à la grange des Jaffuel, portait le nom de Waterloo, et une vache, un nom non moins glorieux de Berezina – la fameuse rivière de Biélorussie, où en novembre 1812, faillit périr la Grande Armée sans l’habileté et l’intrépidité des pontonniers du Colonel ou Général Eblé. Comme chacun sait, le passage de cette fameuse rivière à la fin novembre 1812 fut immortalisé par Victor Hugo :

« Par le froid le plus meurtrier du siècle, les vaillants grognards, transis d’un froid sibérien, s’abritaient sous le ventre de leurs chevaux, et sur le neige glacée, les casques des morts roulaient comme des cruches vides. Au dessus d’eux les étoiles du Nord les éclairaient sans pitié de leur froide lueur – il neigeait, il neigeait, et le jour bien pâle, le soleil semblait avoir fui de cette inhumaine toundra.. »

De retour au pays, en 1815 ou 1816, à l’âge de 33-34 ans, les deux rescapés de la retraite de Russie, avec une verve d’orateur, avec flamme, ne tarissaient pas d’histoires qui ont alimenté les veillées au coin de l’âtre des maisons Jaffuel et Négron. Mais, quelle aventure depuis la conscription, le 18 août 1802 à Châteaneuf-de-Randon.

 

Jean-Félix Jaffuel se mariera le 9 Août  1829 avec Marie Rocher – ses deux sœurs cadettes étaient déjà mariées ; sa sœur aînée Anaïs était célibataire et le restera. Elle avait été l’âme de la maison auprès des vieux parents en l’absence du grand frère, et elle le sera encore auprès du nouveau foyer.

De ce mariage vinrent au monde trois garçons et deux filles : Théodore, Pierre, Marie, Marguerite et Rémi. Ce dernier, le benjamin, sera frère des Ecoles chrétiennes et mourra jeune, à Marseille, de la tuberculose. Théodore, l’aîné, sera l’héritier. Pierre prendra femme au Crouzet même, et sera le gendre de la famille Bertrand.

 

C’est donc Théodore qui va continuer la lignée familiale. De son mariage avec Mélanie Couve, il y aura deux garçons et deux filles : Théodore notre grand-père, et Félix qui sera le premier prêtre « dé nostro mèno : de notre espèce ». Nommé vicaire à Luc, curé à Saint Symphorien, il se signalera par ses talents de sculpteur, de menuisier et d’ébéniste – si bien que Mgr l’évêque de Mende lui confiera la construction de l’église de Planchamp -, et après une bonne vingtaine d’années à Planchamp, il terminera son ministère à Arzenc de Randon, tout près du Crouzet, son village natal.

Marie et Marguerite seront religieuses infirmières à Saint Alban. Il est raconté que la tante Marie, fort intelligente et douée d’une mémoire extraordinaire, se souvenait de tous les sermons qu’elle entendait ; tant et si bien que curés et missionnaires diocésains la redoutaient dans leur auditoire. En effet, plus d’un s’était entendu dire : « Vous dites toujours la même chose. Gare aux mêmes fricots ! » Et avec ça, d’une sainte indulgence pour tous les prédicateurs.


Théodore (le deuxième du nom), leur frère, marié avec Marguerite Amargé de Tartarone – hameau de Saint Amans – sera le père de notre mère, Marie Jaffuel, l’aînée de Félix, Rémi, Pierre et Théodore, et de ses deux sœurs Anaïs et Rosalie.

 

Si à Baoumobiello - la ferme du grand pré - il y eut un militaire célèbre, féal de l’Empereur, il y aura un fin lettré, l’oncle Félix d’Amérique, Docteur es lettres de l’Académie de Valparaiso et licencié de Mathématique. Il était prêtre de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie, décédé en 1939.

Son frère, l’abbé Pierre – vicaire à Altier – déjà longuement mentionné lors de son malheureux accident qui lui coûta la vie. Rosalie épousera à Auroux l’homme le plus affable du monde, Ernest Cellarié. Anaïs, elle, servante de l’oncle curé de Planchamp se mariera à Planchamp avec Hyppolite Paulet, le frère aîné de l’abbé Rigobert Paulet. Rémi, dit « Rami » tiendra la grande ferme de Baoumobiello et, avec joie, toujours recevra frères et sœurs.

 

J’en viens à Théodore – dit : « le Magistrat » - qui fut maire de la commune de Saint Sauveur de Ginestoux, de 1918 à 1936, après avoir fait Verdun, Thessalonique, sans blessure, sans rhumes, mais non sans galons. Comme son frère Rémi, il fut promu adjudant et bardé de décorations. Mais où donc avait-il récolté ce titre de Magistrat ? Si longtemps maire de la commune, il ne pouvait que s’en féliciter. Il faut dire aussi que, vu son humour intarissable et son dévouement, il méritait bien ce noble surnom de « Magistrat »  - lui qui avait échoué - « manqué mon certificat d’études, à Langogne, pour trois fautes d’orthographe. Je ne suis pas savant – proclamera-t-il -, mais j’aurais pu l’être sans ces trois fautes, et alors les portes d’une préfecture m’auraient été ouvertes et fermées celles d’une mairie (d’une commune). Ces trois fautes - je vous le dis- je m’en souviens, elles ont ruiné ma vie. Vous voulez sans doute les savoir pour connaître la profondeur de ma langue française, cette belle langue que la république a ajouté à mon beau patois maternel. »

Ces trois fautes, car le Magistrat était un fin conteur, vont revenir souvent sur le tapis, à tel point que certains membres de la parenté avaient les oreilles battues de ce refrain, mais chaque fois elles égayaient grandement la galerie. Les voilà : il manquait un « T » (entendre Teu) à Mont Lozère, il manquait u « U » à Jeudi, et la plus grave : il manquait un accent circonflexe à « tempête » ! Quant au reste des épreuves : Problème, Histoire, Géographie, tout allait bien ; mais ce qui n’allait pas bien en ce temps là, c’était l’anticléricalisme en vogue, et le petit Jaffuel – le futur adjudant et magistrat – était d’une famille de curés, en Lozère et en Amérique. La cause de l’échec était là, tapie dans les plis du drapeau républicain qui avait à cette époque le vent en proue. Cet échec ne perturba en rien le caractère, ni l’avenir du petit berger de Baoumobiello ; au contraire, il ne fit que renforcer sa volonté de réussir, sa volonté d’être : il sera adjudant de Verdun, Magistrat de la Gineste*, père de famille exemplaire, pédagogue avant l’heure, toujours et en tout domaine. Par exemple, débordant d’humour et de bon sens, il dira : « les enfants sont ce que nous avons été, il faut les mener avec deux morceaux de sucre et un seul coup de bâton ! »

 

Oui, dans la parenté, et dans tout le pays de la Gineste, et au-delà, l’on garde le meilleur souvenir de ce bon Maire, parent et voisin, « Lou Thyadaro del Crouzet » qui rayonnait en lui, la joie, la paix, apaisant tous les conflits. Plus d’une fois, pour consoler tel cœur affligé et combler un porte-monnaie vide, il y est allé des deniers de la commune, et encore plus souvent des siens. C’était le maire secourable qui connaissait son monde. Il savait où gisaient les besoins.. et les coquins.. « Ah ! le fléau des cheveux blancs – aimait-il à dire – c’est ce fléau qui a raison de mon écharpe ; sinon ! »

 

Dans tous les villages de 80, 100, 200, même de 300 habitants comme le Crouzet, régnait la bonne entente, le respect des gens et des choses, et la religion en était la source. Toutes ces familles vivaient dans un climat de travail, de convivialité fraternelle qui rendait tout le monde heureux. Dans leur simplicité et leur droiture, ces bons paysans se sentaient aimés de Dieu – ils croyaient en Dieu ils priaient, non pas peur, mais par confiance. Jésus, le Christ, le bon Dieu, était quelqu’un dans leur maison, et le dimanche, l’église de la paroisse les rassemblait en famille, nombreux, sinon tous dans la maison de Dieu.

Point besoin de dire qu’ils vivaient ces valeurs de probité, d’identité chrétienne, d’amour fraternel, puisées tout droit dans l’Evangile – la Parole de Dieu – Un fait typique répandu en Auvergne : chaque année, à la paroisse, les marguilliers en conseil désignaient les familles qui, pour les pauvres ou sinistrés, devraient assurer le sillon du pauvre (pommes de terre ou choux), le journal de blé et le char de bois pour l’hiver.

Ces exemples, ces coutumes entraient dans le cœur, dans l’âme des enfants et les habituaient à une authentique charité chrétienne. Pétris des commandements de Dieu et de l’Evangile, près de la nature, de la création et du Créateur ; l’air qu’ils respiraient leur donnait le sens de l’existence, de la dignité humaine et de notre destinée. Dans la joie et la paix du cœur, ils vivaient de Foi et d’espérance.

 

Loin de moi la pensée de faire un tableau idyllique de ce temps passé, de chanter que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, sans querelles, sans disputes – parfois épiques – sans recours à la justice et à ses tribunaux. Cependant, des années durant, tel tribunal en Lozère, Cantal ou Aveyron, connut le chômage.

 

Le temps qui passe, étant le déroulement de la création vers son accomplissement – daigne le Seigneur Dieu et Père bénir les racines culturelles et religieuses de nos familles – afin que l’arbre des générations les plonge toujours plus profond en terre – qu’il porte toujours plus  haut ses rameaux dans les cieux de nos humbles montagnes et les couvre de bons fruits.

 

PIERRE o.m.i.

 

 

 

    

         

 

 

       Couvent de VICO, février 1992.


 

 

 


 

 

 



 

* la gineste = lieu de genêts donnant son nom à toute la région de Grandrieu à Châteauneuf,

le genêt étant ainsi le symbole d’une vaste région de Lozère.

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